Le procédé a été long et inhabituel. Pendant sept ans, Guillaume Dumas, à l’époque chercheur à l’Institut Pasteur, et Jean-Pierre Changeux, son collègue neurobiologiste au département de Neuroscience, échangent de façon informelle, sans financement. Au fil du temps puis grâce à la rencontre avec un étudiant en Master de neurosciences computationnelles et neuroingénierie, Konstantin Volzhenin, un projet de recherche se concrétise.
Les trois scientifiques s’attèlent à représenter un modèle du cerveau in silico, en y intégrant plusieurs échelles de description. “Nous avons simulé ce qu’il se passe au niveau des neurones et des connexions entre différentes aires cérébrales _le micro, le méso et la macro_, donc en prenant en compte les multiples échelles auxquelles fonctionne notre cerveau lorsqu’il résout une tâche complexe”, détaille Guillaume Dumas.
“Ce modèle computationnel du cerveau représente une avancée de recherche fondamentale claire, sur les conditions nécessaires à l’émergence de la conscience. En intégrant trois échelles (micro, méso et macro), il permet de tester comment une perte de fonction à l’échelle microscopique, au niveau du neurone, va ensuite se répercuter au niveau des phénomènes cognitifs et comportementaux d’un individu”, Guillaume Dumas, ex-chercheur à l’Institut Pasteur, chercheur au CHU Sainte-Justine (Montréal).
Ce modèle est capable d’apprendre, en s’appuyant sur son expérience. L’apprentissage du cortex visuel a été recréé en multipliant des tâches de classification. Puis cette simulation de cerveau a appris à conserver en mémoire des représentations internes pour prendre des décisions de plus en plus complexes. Ce modèle se démarque de ce qui avait jusqu’ici été développé en ce qu’il apprend à résoudre ces tâches un peu comme un enfant qui apprendrait de ses expériences. “L’architecture sur laquelle le modèle converge à la fin fait émerger plusieurs phénomènes que l’on observe expérimentalement en neurosciences sur de vrais cerveaux humains”, résume le scientifique.
Cette avancée technologique pourrait constituer un avantage stratégique considérable. Guillaume Dumas va jusqu’à parler d’”enjeu de gouvernance géopolitique sur le long terme”. Car beaucoup de spécialistes en IA cherchent des algorithmes multi-tâches, qui pourraient potentiellement aboutir à une intelligence artificielle qui dépasserait l’intelligence humaine.
Cet éclairage sur les mécanismes biologiques et cognitifs du cerveau humain lors de l’apprentissage peut également participer à une meilleure compréhension de certains troubles du neurodéveloppement, comme l’autisme.
L’article récapitulant ces recherches a été publié le 19 septembre 2022 dans la revue scientifique The Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2201304119, Multilevel development of cognitive abilities in an artificial neural network).
Les recherches se poursuivent. “Le modèle présent s’arrête à l’individu. La prochaine étape consistera à y intégrer la dimension sociale, cette “matière noire” des neurosciences et de l’intelligence artificielle pourtant si essentielle à la cognition humaine”, conclut le chercheur.