C’est l’épilogue heureux d’une odyssée de plus de six années menées sur deux fronts : en laboratoire et sur le terrain du réglementaire, fruit du travail des équipes pluridisciplinaires du Professeur Guillaume Canaud à l’Hôpital Necker- Enfants malades AP-HP, l’INEM- Centre de Médecine Moléculaire, l’Inserm et l’Institut Imagine et Université Paris Cité.
Tout commence en octobre 2015 quand le Pr Canaud, néphrologue, reçoit en consultation à l’AP-HP Paris un jeune homme atteint d’une maladie rénale accompagnée d’une forme grave du syndrome de Cloves. Son pronostic vital est engagé.
Le syndrome de Cloves, également appelé syndrome d’hypercroissance dysharmonieuse, est la conséquence d’une mutation du gène PIK3CA. Les cellules se multiplient de manière anarchique, grossissent, forment des tumeurs bénignes et compriment tous les organes autour. Courante en cancérologie, elle concerne un tiers des cancers des seins.
Novartis développe alors une molécule pour contrer le dysfonctionnement de ce gène. Le laboratoire suisse finit un essai clinique de phase 1. La molécule a depuis été autorisée dans le traitement du cancer du sein, en 2019 (Etats-Unis) et 2020 (Europe), sous le nom d’Alpelisib.
“Il faut des interactions extrêmement importantes entre tous les acteurs de la prise en charge du patient : hôpitaux, instituts de recherche, laboratoires pharmaceutiques et agences de régulation du médicament. Tous ensemble, nous pouvons déplacer des montagnes et faire en sorte que le patient accède de façon précoce et rapide à des traitements innovants”, Professeur Guillaume Canaud.
En décembre 2015, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) délivre une autorisation exceptionnelle pour traiter ce premier patient, avec la plus faible dose possible, administrée par voie orale. “Il voit rapidement sa qualité de vie s’améliorer, une fonte spectaculaire de ses tumeurs, et une diminution de ses douleurs”, explique le Pr Canaud. S’ensuit un modèle souris avec les mêmes caractéristiques génétiques et les mêmes résultats très encourageants.
A l’époque, le syndrome de Cloves ne compte officiellement qu’une cinquantaine de malades dans le monde. En interrogeant ses confrères de l’Hôpital Necker-Enfants malades, le Pr Canaud réalise que ce chiffre est largement sous-estimé. Ce qui sera confirmé suite à la publication en juin 2018 d’un article dans la revue Nature. “Grâce à cette visibilité énorme, nous avons reçu 4000 demandes du monde entier pour bénéficier du traitement, de médecins, de patients,… c’était fou !”, se souvient le Pr Canaud.
En plus d’une équipe Inserm composé de 16 chercheurs, un service dédié au sein de Necker est mis en place. Des patients venus du monde entier, atteints de pathologies déformantes, se voient proposer un diagnostic génétique rapide en trois semaines (au lieu de plusieurs années en temps normal), accompagné d’une prise en charge pluridisciplinaire (chirurgie plastique, amputations, traitement médicamenteux,… ).
Depuis 2016, 150 patients ont été traités, adultes ou enfants à partir de 6 mois, sur autorisations exceptionnelles des autorités de régulation toujours. Le Pr Canaud cite par exemple le cas d’une petite fille de 5 ans, en fauteuil roulant à cause des tumeurs qui comprimaient sa moelle épinière. En à peine un mois, elle remarchait.
Une procédure réglementaire se poursuit en parallèle pour accélérer la mise sur le marché du traitement. La FDA finit par autoriser début 2020 une étude rétrospective de vie réelle portant sur 57 patients (France, Etats-Unis, Australie, Irlande) traités avec l’Alpelisib entre 2016 et 2019. Tous ont suivi un protocole de soin similaire. Les imageries sont analysées par un prestataire extérieur et serviront de base à la décision de la FDA. C’est inédit dans l’histoire de la FDA.
Le 6 avril 2022, la FDA délivre l’autorisation de mise sur le marché du Vijoice en procédé accéléré. Le dosage est différent de l’Alpelisib mais la structure chimique est identique.
Un essai clinique classique est aujourd’hui en cours, avec 150 patients randomisés, pour dégager plus de données et obtenir l’autorisation de mise sur le marché des autorités européennes.
Le Pr Canaud est devenu expert auprès de la FDA, qui envisage de reproduire à l’avenir cette procédure d’autorisation accélérée exceptionnelle, notamment pour les maladies rares. L’autorisation du Vijoice a pris moins de 4 ans contre entre 15 et 30 ans habituellement.