Dans l’après-midi du 1er juin, dans le grand auditorium de l’Institut Pasteur, scientifiques, patients et associations ayant collaboré avec la chercheuse Françoise Barré-Sinoussi ont défilé sur scène, saluant à la fois une chercheuse exceptionnelle et une grande dame. Le soir même, deux tables rondes ont été organisées dans un lieu culturel parisien, ouvert au public, notamment sur les interactions entre chercheurs, patients, et soignants. L’occasion de revenir sur 40 ans d’histoire, de recherche, de défis, dans lesquels la France a joué un rôle capital.
Les premiers cas d’une maladie totalement inconnue sont décrits en 1981, aux États-Unis. En décembre 1982, la jeune chercheuse Françoise Barré-Sinoussi travaille dans le laboratoire de Jean-Claude Chermann, au sein de l’unité Oncologie virale de Luc Montagnier. Ils sont alors contactés par les cliniciens et virologistes de l’hôpital Bichat pour isoler un rétrovirus inconnu, qui serait vraisemblablement proche du HTLV (le virus T-lymphotrope humain). En janvier 1983, un premier échantillon ganglionnaire de patient en phase pré-sida est apporté au laboratoire.
« Tout a débuté en 1982 par une rencontre avec des collègues cliniciens qui nous ont fait part de leurs observations chez les premiers malades français, convaincus qu’un rétrovirus pouvait être responsable de cette nouvelle maladie (…) Ça a été extrêmement rapide : on a fait les premiers tests le 12 janvier 1983, et on avait déjà une activité reverse transcriptase significative le 27 janvier », Françoise Barré-Sinoussi, rétrovirologiste, co-découvreuse du VIH.
La première photographie du virus est réalisée le 4 février 1983, par le “microscopiste” de l’unité, Charlie Dauguet. Le 20 mai 1983 est la date officielle de l’identification du rétrovirus à l’origine du sida. Elle marque la publication dans Science des premiers travaux menés par des virologues de l’Institut Pasteur sur le VIH, mais ce n’est qu’en 1984 qu’ils découvrent que ce virus était bien la cause du Sida. Dès 1984, des patients se rendent en nombre à l’Institut Pasteur, qui dispose d’un hôpital.
Il a fallu “mobiliser d’autres équipes: des immunologistes, des biologistes moléculaires, des cliniciens et des patients, sachant qu’à l’époque on n’aurait pas le temps de trouver un traitement pour sauver ceux qui étaient déjà malades (…) On se retrouvait face à des personnes qui venaient à l’Institut Pasteur pour nous poser des questions sur le virus. Humainement parlant, c’était très difficile”, se souvient Françoise Barré-Sinoussi. Leurs travaux vaudront à cette dernière et Luc Montagnier d’être récompensés par le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2008.
Le virus sera finalement baptisé VIH en 1986, pour “virus de l’immunodéficience humaine”. Cette épidémie a représenté ces 40 derniers années l’un des plus grands défis de santé publique dans le monde. Elle a causé environ 40 millions de décès au total. Autant de personnes vivent aujourd’hui avec le VIH. Même si les traitements ont avancé à pas de géant, 1,5 million de nouvelles contaminations à travers le monde ont été enregistrées en 2021.
En 1985, un test de diagnostic sérologique pour les patients infectés est fabriqué. Le premier médicament antirétroviral AZT naît en 1987. En 1996, l’arrivée des trithérapies (association des trois molécules contre le VIH) marque un progrès considérable. 5 ans plus tard, l’autorisation est donnée aux pays en développement de fabriquer des médicaments génériques. En 2012, le premier cocktail antirétroviral efficace pour prévenir la transmission est commercialisé (Prophylaxie Préexposition ou PrEP). En 2021, le premier traitement antirétroviral injectable est mis au point aux États-Unis.
L’objectif « zéro décès du VIH en 2030 » fait partie des stratégies internationales (Onusida, Unicef et OMS) d’atteindre la « fin du sida en 2030 », avec les objectifs « zéro transmission » et « zéro discrimination ».
Même si aucun vaccin n’a encore été trouvé, la recherche et les collaborations internationales se poursuivent. Des essais cliniques vont débuter en France cette année pour tester de nouveaux anticorps neutralisants à large spectre, ainsi que mettre à l’épreuve des cellules naturelles tueuses prometteuses.
Aujourd’hui, les recherches de l’Institut Pasteur se concentrent sur l’élimination des réservoirs viraux persistant chez les personnes atteintes pour contribuer à offrir une rémission durable, voire une guérison. Un colloque scientifique international s’y déroulera du 29 novembre au 1er décembre 2023 et fera un état des lieux de ces avancées.