Puisque 95% des crash tests automobiles sont aujourd’hui réalisés grâce à des répliques virtuelles, pourquoi ne pas en faire autant avec les interventions chirurgicales ? C’est cette ambition qui a motivée les équipes de Dassault Systèmes à appliquer leur expertise en matière de conception 3D au corps humain.
Sans surprise, le stand de l’industriel français au CES de Las Vegas n’a pas désempli et pour cause : son Living heart a capté l’attention des médias et bien évidemment de la communauté scientifique. Ce jumeau numérique réplique plusieurs caractéristiques et fonctions cardiaques, non seulement par sa forme mais aussi grâce à une pompe qui se contracte sous l’effet d’un signal électrique, simulant ainsi le comportement fluidique du cœur.
Cette innovation pourrait permettre aux chirurgiens cardiaques de reconstituer la pathologie de leur patient et voir ce qu’il se passerait en intervenant de telle ou telle manière, pour trouver la meilleure stratégie chirurgicale adaptée à chaque patient. L’expérience est déjà en cours à l’Hôpital pour enfants de Boston, aux Etats-Unis, où le chef du département de chirurgie cardiaque pour enfants a recours à cet outil pour traiter ses jeunes patients atteints de maladies congénitales du cœur.
Quant aux fabricants de dispositifs médicaux, cet appui technologique les aiderait à concevoir plus rapidement et avec plus de précision des valves ou des stents par exemple. Certains utilisent déjà ce jumeau numérique en routine, à différents stades de maturité, en fonction des cas d’usage.
Cette révolution technologique est le fruit d’une collaboration multidisciplinaire avec non seulement des chirurgiens cardiologues, mais aussi des fabricants de dispositifs médicaux, des chercheurs académiques et des spécialistes du réglementaire au sein de la FDA.
Un essai clinique in silico est en cours aux Etats-Unis, avec la FDA, pour mener des crash tests de ce dispositif médical avec une cohorte de patients virtuels plutôt qu’avec des patients réels, souffrant d’un défaut de régurgitation de valve. Cet essai clinique virtuel ne vise pas à remplacer totalement les essais cliniques conventionnels mais à améliorer l’efficacité du dispositif médical en amont pour ainsi diminuer le nombre de patients nécessaires pour l’essai clinique final. « Aujourd’hui, 0% des essais cliniques sont faits de façon virtuelle, nous sommes en train de changer ce paradigme », estime Claire Biot, vice-présidente en charge de l’industrie de la santé chez Dassault Systèmes.
« L’objectif de Dassault Systèmes, avec ces jumeaux numériques du corps humain et de l’expérience patient, est in fine, d’améliorer l’espérance de vie en bonne santé à un coût soutenable pour le système de soin. Pour les praticiens, ces nouveaux outils permettent de standardiser les bonnes pratiques médicales. Pour l’industrie pharmaceutique et les fabricants de dispositifs médicaux, cela réduit la durée de R&D et le coût des produits, tout en ayant un impact positif au niveau du développement durable en évitant le gaspillage. L’innovation touche son public plus vite », Claire Biot, vice-présidente en charge de l’industrie de la santé chez Dassault Systèmes.
Un jumeau virtuel du cerveau ciblant les épilepsies réfractaires aux traitements médicamenteux a également été créé. Il pourrait aider à comprendre la propagation du signal dans le cerveau du patient et à identifier la zone qui déclenche la crise, pour minimiser l’intervention chirurgicale. Il est actuellement en essai clinique, en partenariat avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille, dans le cadre du projet Epinov. Le recrutement est déjà bien avancé.
Le foie et les poumons seront les prochains organes ciblés par cette technologie, avant, qu’à terme, un jumeau du corps humain dans son intégralité soit réalisé.
L’expérience patient est également au cœur des préoccupations de Dassault Systèmes. Pour les aider à vivre avec la maladie, l’environnement dans lequel ils sont soignés va être reproduit, en collaboration avec l’Institut Hartman, à Paris, l’un des centres les plus en pointe en radiothérapie.
Cette collaboration entre l’Institut et le 3DEXPERIENCE Lab de Dassault Systèmes a débouché sur la création d’une machine de radiothérapie de l’entreprise Accuray qui reconstitue grâce à un casque de réalité virtuelle les conditions d’une séance de radiothérapie (la salle, l’équipement, les contrôles, le bruit,…) pour que le jour J, les patients soient prêts et moins anxieux. Un essai clinique va démarrer d’ici peu pour quantifier l’impact de cette technologie sur l’expérience du patient. « Le jumeau numérique du corps humain est nécessaire mais pas suffisant, l’environnement est essentiel, assure Claire Biot. Les deux doivent entrer en synergie pour avoir le meilleur impact sur l’état de santé final de la personne. »
L’industriel a investi le secteur de la santé depuis une quinzaine d’années maintenant et « entend profiter de la légitimité acquise dans d’autres domaines pour en faire bénéficier ce secteur, explique Claire Biot. L’idée est de passer par la simulation pour anticiper les impacts d’un produit sur le marché. Ce test offre bien plus de possibilités que le monde réel et il favorise la collaboration.»
L’acquisition en 2019 de Medidata pour 5,8 milliards de dollars a permis à Dassault Systèmes d’accéder à une large base de données de santé, grâce à une plateforme de collectes et d’analyses des données de patients en essais cliniques.
Conscients que la « matière » humaine est plus complexe, le spécialiste de la modélisation en 3D souhaite répondre aux besoins énormes non-couverts dans le monde médical : population vieillissante, augmentation des maladies chroniques, accès aux soins très inégal, enjeu de maîtrise de la dépense des systèmes de santé (qui croissent deux fois plus vite que le PIB), tout en prolongeant l’espérance de vie en bonne santé des patients,…
Aujourd’hui, Dassault Systèmes se projette sur le long terme et rêve de mettre au point d’ici 10 ans une plateforme favorisant les pratiques médicales d’excellence, pour « passer de l’artisanat à une pratique industrielle », résume Claire Biot.